Ne les connaissant pas et étant fort curieux
de ma nature, j’ai voulu les voir de près. Alors je me suis adressé
à ma belle-sœur, et voilà !
– Comment « Et voilà » ?
C’est votre belle-sœur qui vous a fait inviter ? Elle connaît
donc le directeur des Variétés-Parisiennes ?
– Beaucoup, monsieur. Ma belle-sœur est
cette jeune personne pour laquelle vous vous êtes dérangé tout à
l’heure, et avec qui vous vous êtes entretenu un instant.
– Diane ?
– Si vous voulez. C’est le nom qu’elle
s’est donné quand elle a mal tourné. Au fond, elle a bien fait de
ne point conserver le nom d’une famille qu’elle eût déshonoré.
– Vous êtes dur pour votre belle-sœur,
monsieur.
– Je l’ai été, monsieur, mais je ne le
suis plus. Je lui ai, ou plutôt nous lui avons pardonné. À Paris,
il faut savoir ne point être trop sévère sur le chapitre des mœurs.
C’est ce que j’ai fait comprendre à ma femme, qui tenait rigueur à
sa sœur de la profession qu’elle avait embrassée. Elle a cédé à mes
objurgations et, depuis, nous ne nous en trouvons pas plus mal.
C’est grâce à Diane que notre clientèle a augmenté dans des
proportions considérables. Tout ce que je vous raconte là ne vous
ennuie point, monsieur ?
– Eh ! non.
– Mais vous ne buvez pas, monsieur.
Personne ne boit ici. Ces gens-là ne savent pas boire. À votre
santé et à celle de votre charmante famille ! Vous ne trouvez
pas que ça manque d’entrain ? J’étais venu dans l’espérance
d’assister à une orgie et je crois, ma parole, que ça va être plus
ennuyeux que dans le monde. Peuh ! des poseurs !
– Attendez la fin, monsieur Martinet.
– Ah ! la fin sera comme le
commencement. Et puis, vous savez, rien ne m’épate plus, moi, j’ai
trop voyagé.
Fatigué, Lawrence ne l’écoutait plus. Il cessa
de lui parler. Mais M. Martinet n’en continua pas
moins :
– Oui, j’ai beaucoup voyagé. « Tel
que vous me voyez », j’ai traversé l’Amérique.
Lawrence se taisait toujours.
– Oui, l’Amérique, de l’est à l’ouest, de
New York à San Francisco. J’ai passé huit jours et huit nuits sur
le Pacific railway.
M. Martinet se retourna vers Lawrence et
fut étonné du regard qu’il rencontra.
– Cela vous étonne, dit-il, que j’aie
tant voyagé que cela ! À me voir, on me dirait un
petit-bourgeois, bien tranquille, un calicot qui n’a jamais quitté
son magasin. Eh bien ! « tel que vous me voyez », il
paraît que j’ai couru les plus grands dangers. J’ai failli être
mangé par les sauvages.
Lawrence demanda d’une voix calme :
– Il y a longtemps, monsieur, que vous
êtes allé en Amérique ?
– Mon Dieu ! cela ne date pas
d’hier. J’avais une vingtaine d’années de moins à cette
époque ; j’étais svelte et élégant. Depuis, j’ai pris du
ventre et quelques cheveux blancs. Je vais sur mes quarante-cinq
ans, monsieur. Je ne regrette point les années passées, parce que
je les ai bien employées, et que mon petit commerce de tapissier
marchand de meubles est fort prospère.
Il vida sa coupe.
Lawrence semblait s’intéresser maintenant au
verbiage de M. Martinet.
– Il y a une vingtaine d’années,
dites-vous, que vous êtes allé en Amérique, et vous avez failli
être mangé par les sauvages… Que voulez-vous dire par là ?
– Oh ! une histoire… Des farceurs
prétendaient que notre train serait attaqué par les Peaux-Rouges.
Je ne les ai pas crus, et j’ai bien fait. Pas plus de Peaux-Rouges
que sur la main. Mais, en revanche…
– En revanche ?… interrogea
Lawrence.
Martinet s’arrêtait à nouveau. Il dit après
une pause :
– Est-ce que ça vous intéresse vraiment
ce que je vous raconte là ? Si je vous embête, monsieur
Lawrence, il faut le dire, vous savez. Moi, je n’aime pas raser mon
monde. Ça n’est pas mon état.
– Mais non, mais non. En
revanche ?…
– J’suis marchand de meubles, je n’suis
pas perruquier.
– Je vous écoute, mon ami.
– Quel sale métier !
– Marchand de meubles ?
– Non, perruquier.
– Vous buvez trop, monsieur Martinet,
vous aurez mal aux cheveux en vous réveillant cet après-midi, et
Mme Martinet vous grondera. Mais, revenons au point
où nous avons laissé la conversation.
– Ah ! oui, en revanche, il y a eu
un fameux drame dans le train.
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