Mais, là, un fameux ! Du reste, vous en avez entendu parler.

– Moi ?

– Mon Dieu ! oui, comme les autres. Ça a fait assez de bruit dans le monde. Voyons, vous ne vous rappelez pas ?… Mais qu’est-ce que vous avez, monsieur Lawrence ? Comme vous voilà pâle !

– Pâle ?

– Mais oui, mais oui. Êtes-vous malade ?

– Pas le moins du monde, répondit Lawrence d’une voix ferme. Je suis toujours pâle, moi. Je n’en pourrais dire autant de vous, monsieur Martinet, car votre nez est flamboyant, ce soir. Cela tient sans doute à votre façon si généreuse de boire. Cela ne vous permet plus d’apprécier les couleurs. Vous me voyez trop pâle parce que vous êtes trop ivre, monsieur Martinet.

– Je me tiens encore bien sur mes jambes, monsieur Lawrence.

Et Martinet se leva pour prouver son dire. En effet, il ne bascula point et exagéra la raideur de sa tenue :

– Ah ! ah ! je suis encore solide.

Il se rassit.

– Je vous parlais donc de ce drame, monsieur Lawrence. Ce fut un assassinat, un horrible assassinat. Cela s’est passé non loin de Julesbourg.

Lawrence, soit qu’il fût distrait, soit pour tout autre cause, brisa son verre.

– Eh ! là ! C’est moi qui suis saoul, et c’est vous qui cassez la vaisselle ! s’écria Martinet. Ma parole, vous me paraissez tout drôle. Votre main tremble… Auriez-vous la fièvre ?

Lawrence dit :

– Vous rêvez tout haut, monsieur Martinet. Allez rejoindre Mme Martinet : il est temps. Dans une demi-heure, il serait trop tard.

– Bah ! Mme Martinet est absente. Elle ne rentrera à Paris que dans quelques jours. J’ai bien le temps de vous raconter la mort du roi de l’huile !

– C’est inutile ; je la connais, en effet. Tous les journaux en ont parlé.

– Parfaitement. On avait cru d’abord à un accident, et c’est ainsi qu’on avait expliqué, dès le lendemain matin, la disparition de sir Jonathan Smith. Mais une enquête plus approfondie, des traces de sang sur la terrasse d’arrière, où il s’était tenu une partie de la nuit, et, plus tard, trois semaines plus tard, la découverte de son cadavre dans la rivière Platte, son cadavre horriblement défiguré et la nuque trouée d’une balle de revolver, tout cela prouva clair comme le jour qu’on était en face d’un assassinat.

– Rappelez-moi donc un fait, dit Lawrence. Les coupables ?… Les coupables ont été arrêtés, n’est-ce pas ?

– Que non point, déclara M. Martinet. Quelques heures après que l’on se fut aperçu de la disparition du roi de l’huile, on découvrit celle de deux jeunes gens qui l’accompagnaient. Ils avaient fui ensemble. Enfin, plusieurs semaines après le crime, on apprit que la jeune fille était la fiancée du roi de l’huile, et l’on en conclut que l’on se trouvait en face d’un drame de l’amour. On ne retrouva jamais ni la fiancée ni son amant, et tout cela est bien oublié, bien vieux. Ça fit beaucoup de bruit à l’époque, à cause de la fortune du roi de l’huile, voilà tout. Parlons d’autre chose, hein ? Ça n’est pas gai, ce que nous racontons là.

– Cette fortune, à qui donc est-elle revenue ?

– L’héritier ? Un domestique de la victime. Celle-ci n’avait pas de parents et avait fait un testament qui donnait tous les millions à un fidèle serviteur. En voilà un qui n’a pas dû s’embêter après la mort de son maître ?

– Et qu’a-t-il fait de la fortune, l’héritier ?

– Il l’a entièrement réalisée et a quitté Chicago. Depuis, il n’a plus donné de ses nouvelles. Tout est mystérieux dans cette affaire-là.