Moi, je ne serais pas éloigné de
croire que l’héritier a été pour quelque chose dans l’assassinat.
En France, il suffit qu’on tue quelqu’un qui a du bien pour que la
justice arrête celui qui en profite. Il en résulte rarement des
erreurs.
– Une dernière question, monsieur
Martinet. Vous avez vu celui que l’on croit être l’assassin, ce
jeune homme qui, disiez-vous, était l’amant de la fiancée du roi de
l’huile ?
M. Martinet ne put répondre tout de
suite. La fanfare de Trépigny-les-Chaussettes, installée dans les
fauteuils de balcon, venait d’éclater de tous ses cuivres. Des
torrents de cacophonie descendaient du balcon sur la scène,
emplissaient de bourdonnements douloureux les oreilles des invités.
C’était le signal qui mettait fin au souper. Tout le monde se
leva ; on se dirigea vers la rampe, où un large escalier avait
été disposé, qui permettait de descendre directement de la scène
dans la salle. Un instant, la musique infernale se tut.
M. Martinet dit à Lawrence :
– Si je l’ai vu ! Ah !
monsieur, je l’ai vu comme je vous vois ! Partout où je le
rencontrerais, je le reconnaîtrais immédiatement. Il était, tenez…
il était… soit dit sans vous offenser – et M. Martinet mit sa
main sur son cœur – il était un peu dans votre genre, seulement
plus petit. Et puis, au lieu d’être brun comme vous, il était
blond.
III – COMME QUOI DIANE N’ATTENDAIT PLUS
LE PRINCE AGRA, EN QUOI ELLE AVAIT TORT
Tous se bousculaient, se poussaient vers
l’escalier. La fanfare avait repris sa cacophonie. Dans le désordre
de cette sortie de table, Lawrence se trouva, sans qu’il sût
comment et sans qu’il eût rien fait pour cela, à côté de Diane, qui
lui prit le bras. Il regarda cette jolie femme et ne lui parla pas,
ne lui sourit pas. Ses yeux grands ouverts semblaient ne point
voir. On le sentait entièrement pris par une pensée profonde qui
l’absorbait, qui le jetait hors des choses et des gens qui
l’entouraient.
Diane l’entraîna et il se laissa faire. Il
descendit avec elle dans la salle. Elle le conduisit dans
l’obscurité d’un couloir, poussa une porte. Ils entrèrent dans une
loge. Diane referma la porte derrière eux.
Ils n’étaient pas assis que déjà Diane
pleurait. Ces pleurs de femme tirèrent Lawrence de son rêve. Il ne
s’étonna point de se trouver là avec cette femme en larmes.
– Il ne viendra plus ! C’est bien
fini maintenant. Au fond, tout au fond, je me moque du prince, et
ce qui m’ennuie, c’est qu’on se moque de moi, Vous les avez
entendues, les bonnes petites amies ?
– Bah ! madame, tout ceci n’a pas
d’importance. Mais pourquoi me racontez-vous tout cela, à moi qui
ne vous connais point ?
– Parce que vous ne me le demandez pas.
J’aime qu’on ne me fasse point la cour, et avouez que je vous suis
parfaitement indifférente.
– Mon Dieu ! oui, madame.
– Vous êtes adorable et si triste !
si triste. Je me suis dit : « Tiens, voilà un homme qui a
des ennuis : je vais aller lui conter les miens. »
Maintenant que c’est fait, j’écoute les vôtres.
– C’est charmant, dit Lawrence. Vous
mettez tout de suite les gens à… votre aise. Je n’ai pas des
ennuis, madame : j’ai de l’ennui.
– Et de quoi, monsieur ?
– De me trouver ici. C’est pourquoi je
m’en vais.
– Mais vous êtes insolent… Comme c’est
drôle !
– Non, madame. Ce n’est point votre
compagnie qui me fait fuir, mais celle de tous ces masques, qui
font trop de bruit et me donnent mal à la tête.
Diane ne répondit point.
Lawrence l’examinait curieusement, semblant la
regarder pour la première fois, lui découvrait de la beauté. La
voyant silencieuse :
– Vous pensez encore au prince ?
– Plus que jamais ! Vous n’avez pas
réussi à me le faire oublier, vous savez ! Tenez, voulez-vous
m’arranger la dentelle de mon jabot, que j’ai un peu froissée.
Pour cette opération, Diane avait déboutonné
le haut de son gilet. Les doigts de Lawrence frôlèrent une peau de
courtisane. Il rougit.
– Non… Vous rougissez ! Ah ! on
voit bien que vous n’avez pas l’habitude des femmes, vous !
Connaissez pas la noce, hein ? la haute noce ! Vous voilà
troublé comme un collégien.
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