Qui aurait dit cela à vous voir si
dédaigneux tout à l’heure, avec vos paroles d’orgueil ? Je
connais cela, mon petit. On est timide avec les femmes. Eh
bien ! en avez-vous fini avec ce jabot ? Vos doigts
tremblent.
– N’abusez point, madame, de mon
innocence, fit Lawrence en souriant. C’est vrai, je suis un
chaste.
– Dites donc, ce sera terrible, vous,
quand vous aurez fini d’être chaste.
Diane le regarda longuement :
– Savez-vous que vous êtes très bien, mon
cher, et que le costume d’Hamlet vous sied à merveille ? Il
est bien le cadre qu’il faut à votre pâleur et à votre ennui. Mais
venez donc vous distraire dans quinze jours chez moi, venez voir
mes « tableaux vivants ».
Lawrence se récria :
– Oh ! madame, ne me débauchez
pas ! Je suis couché tous les soirs à dix heures.
Diane mit ses bras au cou de
Lawrence :
– Acceptez… C’est dit, n’est-ce
pas ?
Lawrence rougit encore.
– J’irai, madame, puisque tel est votre
bon plaisir.
Il eut un geste résolu, s’arrêta à la
contemplation de Diane, se rejeta dans la foule qui obstruait
l’entrée du foyer. Il se traça un rapide chemin dans cette foule,
arriva à un escalier, le descendit, prit son pardessus au vestiaire
et gagna la porte de sortie sur le boulevard.
Il était si occupé par la pensée qu’il avait
de fuir, et de fuir immédiatement, qu’il ne prêta nulle attention
au bruit qui se faisait autour de lui, au mouvement très prononcé
des groupes poussés par la curiosité vers un nouvel arrivant.
Et Lawrence était déjà sur le trottoir au
moment où, sur le seuil du foyer, la voix du directeur des
Variétés-Parisiennes se faisait entendre :
– Mesdames et messieurs, permettez-moi de
vous présenter mon hôte, le prince Agra !
IV – EN FAMILLE
Il pouvait être trois heures du matin. La nuit
était magnifique. Lawrence, sur le trottoir, regarda le ciel, d’un
azur sombre, cloué d’étoiles.
Quelques fiacres et voitures de maître
stationnaient en face des Variétés-Parisiennes.
– Bah ! dit-il, je vais faire un
bout de route à pied.
Il releva le col de son pardessus, s’enveloppa
la tête d’une fourrure, car il soufflait une petite bise glacée. Il
alluma un cigare et s’en fut, claquant de la semelle, le long du
boulevard désert.
Tout en marchant, il monologuait :
– Dix minutes de plus là-dedans et je
devenais amoureux. Ce n’eût pas été drôle.
Et il ajouta :
– Elle est bigrement jolie, mais ce n’est
qu’une grue !
Il se remémorait les incidents de la nuit.
– « Vous êtes un
chaste !… » C’est vrai que je suis un chaste. Je n’ai
jamais fait la noce. Le peu que j’en ai vu ne me tente point.
Ah ! cette Diane, elle me prenait ! Sont-elles
dangereuses !… On ne m’y repincera plus. Je ne veux plus me
laisser entraîner dans un tel milieu…
Sa pensée changea de cours, alla vers le foyer
où tendaient ses pas.
Il murmura :
– Chère Adrienne !…
Un peu plus loin, il revenait à Diane. Il ne
put s’empêcher de sourire à son idée.
– J’eusse été cette nuit, si j’avais
voulu, peut-être, le beau-frère de Martinet !
Il avait prononcé ce nom tout haut :
– Martinet !
Et il s’arrêta soudain, répéta
machinalement :
– Martinet !
Il ne souriait plus. Sa face était grave. Il
resta ainsi quelques minutes sur le trottoir, songeant à Martinet.
La conclusion de son recueillement fut celle-ci :
– C’est un imbécile !
Et il reprit son chemin.
Un fiacre passait, Lawrence le héla.
Avenue Henri-Martin, le fiacre s’arrêta devant
un hôtel dont les vastes proportions se devinaient dans la nuit. Un
petit parc entourait l’hôtel. La grille d’entrée s’ouvrit. On
attendait Lawrence. Celui-ci, descendu de voiture, n’eût pas plus
tôt passé le seuil qu’une forme noire se détachait des ténèbres et
lui sautait au cou.
– Bonsoir, p’pa !
– Allons, Pold ! veux-tu bien te
tenir tranquille, vilain diable ?
– Vous me recevez comme un chien dans un
jeu de croquet, p’pa.
– Et toi, tu m’accueilles comme un
dogue.
– Maman et Lily vous attendent. Elles
allaient monter se coucher. Elles ne tiennent plus de fatigue.
– Et toi, tu n’as pas sommeil ?
– Oh ! moi, non. Je viens de me
lever.
– Comment cela ? Tu n’as pas
accompagné ta mère et ta sœur chez les de Tiercœuil ?
– Oh ! moi, vous savez, p’pa, ces
affaires-là, moi, ça m’ennuie. J’pars à bécane à six heures. Il n’y
avait pas plan.
– Quelles vilaines expressions tu as,
Pold !
– Ah ! pour sûr ! J’ai pas été
élevé aux Oiseaux !
Un domestique les attendait sur le perron. Ils
entrèrent dans une salle à manger.
– Le voilà, p’pa ! cria Pold.
– Enfin ! répondirent joyeusement
deux voix féminines.
Une jeune fille vint à Lawrence. Elle
paraissait bien ses dix-sept printemps ; de taille moyenne et
admirablement prise en sa toilette, très simple, de mousseline
blanche. Elle était blonde, d’un blond rayonnant et doré. Son teint
était d’une pâleur et d’une aristocratie sans égales, son profil
droit était un peu sévère, mais cette sévérité était immédiatement
rachetée par la douceur infinie du regard.
Lily tendit son front à Lawrence, qui y déposa
un baiser.
– Père, père, vous arrivez bien tard. Je
vais vous gronder.
– C’est moi qui te gronderai, méchante
enfant, de veiller encore.
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