Vous
pleurez dans votre oratoire ! Vous ne pouvez vous mettre à
genoux sans pleurer ! Je vous ai surprise sans le vouloir,
mère. Pardonnez-moi. Et puis votre regard semble toujours tourné
vers quelque chose que vous n’oubliez jamais… Quoi ? Je
voudrais savoir quoi. Je voudrais pouvoir éloigner de vous cette
chose qui vous hante.
Adrienne prit la tête de son enfant, déposa
des baisers sur ses paupières, la mère et la fille ne dirent plus
rien. Elles restèrent longtemps ainsi. Lily s’endormit doucement,
Adrienne contempla son sommeil, des larmes lourdes et silencieuses
tombèrent sur la tête de l’enfant.
…
… … … … … … … … … …
Pold, qui s’était couché de bonne heure et qui
s’était relevé quand sa mère et sa sœur étaient rentrées à l’hôtel,
vers trois heures du matin, Pold, remonté dans sa chambre, ne
dormait pas. Il arpentait la pièce à grands pas et regardait de
temps en temps le cadran de la pendule, dont les aiguilles
marquaient quatre heures et demie.
– Je n’ai pas osé le demander à p’pa,
disait-il tout haut. Quel prétexte pour le lui demander ? Mais
je suis sûr qu’elle y était. Parbleu ! Martinet me l’a dit,
qu’elle s’y trouverait. Il le sait, lui, Martinet. Il sait tout, ce
sacré Martinet. Et puis, est-ce qu’il y a vraiment une fête
parisienne sans Diane ?…
Il marcha quelque temps encore par la chambre,
puis il s’arrêta en face d’un bureau, s’assit dans un fauteuil,
ouvrit, avec une clef, un tiroir et en sortit un paquet de
photographies.
Pold, de son nom de baptême Léopold, était un
brave garçon, d’une santé prospère, très « calé » dans
tous les sports, d’une vigueur et d’une adresse peu ordinaires,
très ignorant de tout ce qui ne touchait point au cyclisme, à
l’équitation, au canotage, à la chasse, au cricket, au football et
autres exercices. En revanche, il avait découragé tous ses
professeurs et bâclé ses classes. Il donnait pour excuse à son
ignorance et à sa paresse pour l’étude les déplacements continuels,
les voyages sans nombre de la famille, qui n’était installée à
Paris que depuis trois ans. Il affectait des « airs
d’homme » et prétendait que la vie n’avait plus rien à lui
apprendre.
C’était surtout un impulsif. Les désirs qui
lui naissaient devaient être contentés sur-le-champ. Il ne
s’adressait point, pour atteindre son but, quel qu’il fût, à un
parent ou à un ami. Il ne comptait que sur lui et agissait sans
prendre conseil de personne. Il ne discutait pas avec ses
fantaisies, qui lui paraissaient toujours naturelles.
Ce qu’il n’avouait point, c’était qu’il fût un
sentimental. Sous ses dehors d’homme fort et que rien n’étonnait
dans la vie, sous ses extravagances et ses vantardises, il essayait
vainement de cacher une sentimentalité excessive.
Ainsi, à cette heure où nous le trouvons dans
sa chambre, toute sa pensée est occupée par Diane. Pold n’a pas un
« béguin » platonique pour Diane. Il l’aime de loin, mais
il l’aime. Il est prêt à tout pour le lui prouver. Pourquoi
Diane ? Parce qu’il fallait qu’il aimât quelqu’un, parce que
son cœur avait besoin d’occupation.
Et il avait cherché. Un jour, il avait vu
Diane, aux Folies, sur la scène. En sortant de l’établissement, il
se disait : « C’est bien simple, j’adore cette
femme. » Au fond, il n’adorait rien du tout. Mais à force de
se le répéter, il le crut ; à force de se trouver sur le
passage de Diane, il en devint réellement très amoureux ; à
force de regarder, à la vitrine des papetiers de la rue de Rivoli,
les photographies de Diane, de les acheter et de se perdre dans une
nouvelle contemplation à domicile, il en devint fou.
Il la contempla prenant son bain, sortant de
son tub, se mettant au lit. Il la vit en toilette de soirée, en
toilette de ville, en peignoir et sans peignoir. Il la considéra
dans ses poses les plus plastiques.
Finalement, il se leva après avoir déposé un
baiser chaleureux sur l’un des portraits et s’en fut vers la
pendule.
– Zut ! dit-il, je ne vais pas me
recoucher. Je n’ai plus qu’une heure et demie à attendre pour aller
au rendez-vous des copains.
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