Cest une erreur dappellation parce que le titre de Premier ministre nexistait pas, mais le rôle quil jouait nétait pas très différent de ce quimplique cette désignation. En tant que conseiller respecté et apprécié de deux rois, il les accompagnait au cours de leurs voyages et on le voyait en général à leurs côtés au cours dentretiens avec les représentants du gouvernement. Cétait un gardien reconnu de lhistoire xhosa, et cest en partie pour cette raison quon lappréciait comme conseiller. Lintérêt que je porte moi-même à lhistoire est né très tôt en moi et a été encouragé par mon père. Bien quil nait jamais su lire ni écrire, il avait la réputation dêtre un excellent orateur et il captivait ses auditoires en les amusant et en les instruisant.

Plus tard, jai découvert que mon père nétait pas seulement conseiller de roi mais aussi un faiseur de rois. Après la mort prématurée de Jongilizwe, dans les années 20, son fils Sabata, le jeune enfant de sa Grande Epouse, navait pas lâge daccéder au trône. Une querelle naquit pour savoir lequel des trois fils les plus âgés de Dalindyebo et dautres mères – Jongintaba, Dabulamanzi et Melithafa – on devait choisir pour lui succéder. On consulta mon père, qui recommanda Jongintaba parce quil était le plus instruit. Il expliqua que Jongintaba ne serait pas seulement un gardien parfait de la couronne mais aussi un excellent guide pour le jeune prince. Mon père et quelques chefs influents avaient pour léducation le grand respect des gens sans instruction. La recommandation de mon père prêtait à controverse parce que la mère de Jongintaba était dune maison inférieure, mais finalement son choix fut accepté à la fois par les Thembus et par le gouvernement britannique. Plus tard, Jongintaba devait rendre la faveur qui lui avait été faite dune façon que mon père ne pouvait imaginer à lépoque.

Mon père avait quatre épouses, dont la troisième, ma mère, Noseki Fanny, la fille de Nkedama du clan amaMpemvu des Xhosas, appartenait à la Maison de la Main Droite. Chacune de ces épouses, la Grande Epouse, lépouse de la Main Droite (ma mère), lépouse de la Main Gauche et lépouse de lIqadi, ou maison de soutien, avait son propre kraal. Un kraal était la ferme dune personne et ne comprenait en général quun simple enclos pour les animaux, des champs pour la moisson, et une ou plusieurs huttes couvertes de chaume. Les kraals des épouses de mon père étaient séparés par plusieurs kilomètres et il allait de lun à lautre. Au cours de ces voyages, mon père engendra treize enfants, quatre garçons et neuf filles. Je suis laîné de la Maison de la Main Droite et le plus jeune des quatre fils de mon père. Jai trois sœurs, Baliwe, qui est la fille la plus âgée, Notancu et Makhutswana. Bien que laîné fût Mlahwa, lhéritier de mon père comme chef a été Daligqili, le fils de la Grande Maison, qui est mort au début des années 30. A part moi, tous ses fils sont maintenant décédés et tous métaient supérieurs, non seulement en âge mais aussi en statut.

 

Alors que je nétais encore quun nouveau-né, mon père fut impliqué dans une querelle, ce qui entraîna sa destitution de chef de Mvezo et révéla un trait de son caractère dont, je crois, son fils a hérité. Je suis persuadé que cest léducation plus que la nature qui façonne la personnalité, mais mon père était fier et révolté, avec un sens obstiné de la justice, que je retrouve en moi. En tant que chef, il devait rendre compte de son administration non seulement au roi des Thembus mais aussi au magistrat local. Un jour, un des sujets de mon père porta plainte contre lui parce quun bœuf sétait échappé. En conséquence, le magistrat envoya un message pour donner lordre à mon père de se présenter devant lui. Quand mon père reçut la convocation, il envoya la réponse suivante : « Andizi, ndisaqula » (Je nirai pas, je suis prêt à me battre). A cette époque-là, on ne défiait pas les magistrats. Une telle conduite était considérée comme le sommet de linsolence  – et dans son cas, ça létait.

La réponse de mon père exprimait clairement quil considérait que le magistrat navait aucun pouvoir légitime sur lui. Quand il sagissait de questions tribales, il nétait pas guidé par les lois du roi dAngleterre, mais par la coutume thembu. Ce défi nétait pas une manifestation de mauvaise humeur mais une question de principe. Il affirmait ses prérogatives traditionnelles en tant que chef et il défiait lautorité du magistrat.

Quand le magistrat reçut la réponse de mon père, il laccusa immédiatement dinsubordination.