Puis, avec leurs mines et leurs grimaces, elles sont horriblement romantiques, elles ne peuvent pas se mettre dans la tête que nous nous suffisons très bien à nous-mêmes, que nous n’avons nullement besoin de faire appel à leurs bons services pour nous réconcilier avec notre petite personne, qui nous est chère. Et qui nous est chère telle quelle, de la plante des pieds à la racine des cheveux, y compris l’âme, si elle a sa place quelque part. Avec le temps, hélas ! il est possible que nous la prenions en grippe, raison de plus pour jouir de cette lune de miel avec nous-mêmes, pas vrai ? Nous d’abord. Je suis bien sûr que tous les jeunes gens ont pensé ainsi depuis le commencement du monde, mais ils n’osaient pas le dire. On leur farcissait d’ailleurs la tête d’âneries sur les jeunes personnes, de comparaisons lyriques tirées de l’ornithologie, de la minéralogie, de l’horticulture – les joues en duvet de pêche, les yeux de diamant, et patati et patata – tout le printemps, toute la pureté, tout le mystère. Eux, ils devaient admirer, le front dans la poussière, parce qu’ils étaient laids, qu’ils appartenaient au sexe laid, comme dit le cher vieux gros papa Léon Daudet qui n’a dû jamais, depuis Louis-le-Grand, perdre l’habitude de dessiner des petites femmes nues en marge de ses cahiers.
Qu’on ait fait croire ça à de pauvres types qui n’allaient à l’établissement de bains qu’une fois par mois, et de douze à dix-huit ans marinaient sous la flanelle d’une espèce de peau de poulet, soit ! Nous, ma tante, nous nous savons beaux, et notre mystère, pour le moins, vaut le leur. Alors, mon Dieu, il ne s’agit pas de nous excuser d’être au monde, il faut nous plaire. Nous voulons être soignés, dorlotés, mignotés, nous voulons avoir nos nerfs quand le temps est à forage, pourquoi pas ?
Il est probable que les coquebins de jadis allaient aux filles par niaiserie, par timidité – toujours le fameux complexe ! Nous les recherchons parfois, nous, parce qu’il leur arrive de nous aimer comme nous nous aimons, tranquillement, paisiblement, naturellement quoi ! sans scrupules, sans remords. Mais il n’est pas besoin d’être une fille de trottoir pour ça… Et par exemple, Mme Alfieri n’irait pas me vanter la félicité de la mansarde et du pot de fleurs dans la gouttière, en compagnie de Mimi Pinson, elle comprend très bien que le superflu m’est indispensable, que je ne saurais m’épanouir dans ma misérable chambre d’hôtel, en face d’une hideuse armoire, que la question de la chemise et de la cravate est plus grave qu’on ne pense, et qu’il importe plus à un jeune homme d’être beau que de croire en Dieu.
J’admire aussi sa discrétion, sa patience, son adresse à se glisser dans ma petite vie sans être vue, à pas de velours. Elle ne change pas un bibelot de place, et quand elle est partie, on respire tout de même mieux. De véritables confidences, d’elle à moi, pas l’ombre, bien entendu. Mais elle finit par tout savoir, elle apprend de moi ce qu’elle veut. Lorsque vous la verrez, vous serez étonnée de ce qu’elle connaît de vous, de vos habitudes, de votre entourage, de vos amis. La vieille maison grise, elle pourrait m’y conduire les yeux fermés. Le plus extraordinaire, c’est sa mémoire des lieux qu’elle prétend n’avoir jamais vus ! Elle interroge si intelligemment, si simplement, qu’on serait bien embarrassé de dire où et quand on l’a renseignée, mais elle l’est, je vous jure. Au fond, je crois qu’elle me fait marcher, comme on dit… Elle est bien capable d’avoir été là-bas déjà, vous la rencontrerez peut-être un soir, dans le chemin creux, en revenant du salut… De vouloir connaître le paysage familier de mes vacances, cela lui ressemble tant !…
II
– Tenez, mon vieux, dit Philippe, voilà votre lettre, ce n’est pas mal. Comme – vous y allez ! « Une longue bête caressante avec des yeux d’homme », j’en ai froid dans le dos, mon cher. Et ce qui m’humilie un peu, c’est que vous n’ayez pas trouvé une place pour moi, dans cette charmante peinture. Le neveu du Patron, que diable ! ça mériterait tout de même bien cinq lignes.
Il tendait vers son camarade les feuillets un peu froissés, avec effronterie, de sa jolie main au poignet cerclé d’une chaîne d’or.
– Écoutez, remarqua Olivier Mainville posément, je me demande parfois d’où vous pouvez tenir ce ton cabotin. Et puis, vous venez de rater votre effet de scène, mon petit. Je savais très bien que vous m’aviez chipé ma lettre, je ne la cherchais même plus.
– Mon Dieu, fit l’autre avec le même sang-froid, c’est bien possible, je ne tenais pas à vous surprendre. Assez bon, d’ailleurs votre topo sur le patron… Il n’a eu que quelques semaines l’insigne persévérance de me tolérer comme secrétaire, mais j’en sais assez : on ne pouvait pas mieux dire en peu de mots. Malheureusement vous ne serez jamais capable de tirer parti de quoi que ce soit. Avec la moitié des idées qu’il y a là dedans, vous pourriez être bientôt le maître ici, vous mettriez mon hideux oncle dans votre poche. Mais n’était votre providentielle étourderie, vous vous seriez contenté d’envoyer cette merveille épistolaire à Madame votre tante qui après l’avoir proposée à l’admiration du notaire et du curé, en aurait recouvert, je pense, ses pots de confiture.
De la pointe du tisonnier, tout en parlant, il éparpillait les cendres, sa jolie tête penchée vers la flamme avec un sourire triste.
– Je ne vous ai pas chipé la lettre, mon vieux, vous l’aviez laissée traîner sur le bureau du Maître avec la copie de la veille – une belle gaffe ! Je me demandais même tout à l’heure si vous ne l’aviez pas fait exprès.
– Il l’a lue ? dit Olivier, pâle de colère.
– Ça vous étonne ? Il m’a prié de vous la rendre. Il vous en parlera tantôt, sans le moindre embarras. Pensez donc ! Un document sur la jeunesse ! Ça fait douze pages de texte ! Il jubile.
– Et vous ? Pas mécontent non plus, je suppose. Entre nous, l’oncle et le neveu, vous faites la paire.
– Oh ! pardon. Si vous vouliez réfléchir une seconde au lieu de gigoter comme un gosse, vous comprendriez que mon indiscrétion – pour parler la langue de votre austère province – est parfaitement justifiée. J’ai agi dans votre intérêt, mon cher.
1 comment