Nous nous engageâmes dans un interminable labyrinthe de ruelles éclairées au gaz, jusqu’à ce que nous nous retrouvions dans Farrington Street.

« Nous approchons ! constata mon ami. Ce Merryweather est un directeur de banque et cette affaire l’intéresse personnellement. J’ai pensé qu’il ne serait pas mauvais d’avoir Jones avec nous aussi. Ce n’est pas un mauvais bougre, quoique professionnellement je le considère comme un imbécile. Mais il a une qualité positive : il est aussi courageux qu’un bouledogue, et aussi tenace qu’un homard s’il pose ses pinces sur quelqu’un. Nous voici arrivés : ils nous attendent. »

Nous avions atteint la même grande artère populeuse où nous avions déambulé le matin. Nous quittâmes nos fiacres et, guidés par M. Merryweather, nous nous engouffrâmes dans un passage étroit. Il nous ouvrit une porte latérale. Au bout d’un couloir, il y avait une porte en fer massif. Celle-ci aussi fut ouverte ; elle débouchait sur un escalier de pierre en colimaçon qui se terminait sur une nouvelle porte formidable. M. Merryweather s’arrêta pour allumer une lanterne, et il nous mena vers un passage sombre, qui puait la terre mouillée. Encore une porte, la troisième, et nous aboutîmes à une grande cave voûtée où étaient empilées tout autour des caisses et des boîtes de grande taille.

« Par le haut, vous n’êtes pas trop vulnérable ! remarqua Holmes en levant la lanterne et en regardant autour de lui.

– Ni par le bas ! dit M. Merryweather en frappant de son stick les dalles du sol… Mon Dieu ! s’écria-t-il, elles sonnent creux…

– Je dois réellement vous prier de vous tenir un peu plus tranquille, dit Holmes avec sévérité. Vous venez de compromettre le succès de notre expédition. Pourrais-je vous demander d’être assez bon pour vous asseoir sur l’une de ces caisses et de ne vous mêler de rien ? » Le solennel M. Merryweather se percha sur une caisse, avec un air de dignité offensée. Holmes s’agenouilla sur le sol : à l’aide de la lanterne et d’une loupe, il examina les interstices entre les dalles. Quelques secondes lui suffirent ; il se remit debout et rangea la loupe dans sa poche.

« Nous avons une bonne heure devant nous, déclara-t-il. En effet, ils ne prendront aucun risque avant que le prêteur sur gages soit couché. Seulement, ils ne perdront plus une minute, car plus tôt ils auront fini leur travail, plus ils auront de temps pour se mettre à l’abri. Nous nous trouvons actuellement, docteur, et vous l’avez certainement deviné, dans la cave d’une succursale, pour la City, de l’une des principales banques de Londres. M. Merryweather est le président du conseil d’administration, et il vous expliquera les raisons pour lesquelles les criminels les plus audacieux de la capitale n’auraient pas tort de s’intéresser à présent à cette cave.

– C’est notre or français, chuchota le président. Et nous avons été avertis à plusieurs reprises qu’un coup était en préparation.

– Votre or français ?

– Oui. Il y a quelques mois, nous avons eu occasion de consolider nos ressources ; à cet effet, nous avons emprunté trente mille napoléons à la Banque de France. Mais, dans la City, on a appris que nous n’avons jamais eu besoin de cet argent frais, et qu’il était dans notre cave. La caisse sur laquelle je suis assis contient deux mille napoléons enveloppés de papier de plomb. Notre réserve métallique est beaucoup plus forte en ce moment que celle qui est généralement affectée à une simple succursale, et la direction redoute quelque chose…

– Craintes tout à fait justifiées ! ponctua Holmes. Maintenant, il serait temps d’arranger nos petits plans. Je m’attends à ce que l’affaire soit mûre dans une heure. D’ici là, monsieur Merryweather, faites tomber le volet de votre lanterne.

– Alors nous resterons… dans le noir ?

– J’en ai peur ! J’avais emporté un jeu de cartes, monsieur Merryweather, et je pensais que, puisque nous serions quatre, vous auriez pu faire quand même votre partie de bridge. Mais l’ennemi a poussé si loin ses préparatifs que toute lumière nous est interdite. Première chose à faire : choisir nos places. Nos adversaires sont gens audacieux ; nous aurons l’avantage de la surprise, c’est entendu ; mais si nous ne prenons pas le maximum de précautions, gare à nous ! Je me tiendrai derrière cette caisse. Vous autres, dissimulez-vous derrière celles-là. Quand je projetterai de la lumière sur eux, cernez-les en vitesse. Et s’ils tirent, Watson, n’ayez aucun scrupule, abattez-les comme des chiens ! »

Je posai mon revolver, armé, sur la caisse en bois derrière laquelle je m’accroupis. Holmes abaissa le volet de la lanterne. Nous fûmes plongés dans l’obscurité ; et cette obscurité me parut effroyablement opaque.