En se sentant pris, il poussa un cri d’alarme, la panthère le saisit avec ses dents par le collet ; et, sautant avec vigueur en arrière, elle le tira du gouffre, comme par magie. ― Ah ! Mignonne, s’écria le soldat, en la caressant avec enthousiasme, c’est entre nous maintenant à la vie à la mort. Mais pas de farces ? Et il revint sur ses pas.
Le désert fut dès lors comme peuplé. Il renfermait un être auquel le Français pouvait parler, et dont la férocité s’était adoucie pour lui, sans qu’il s’expliquât les raisons de cette incroyable amitié. Quelque puissant que fût le désir du soldat de rester debout et sur ses gardes, il dormit. À son réveil, il ne vit plus Mignonne ; il monta sur la colline, et dans le lointain, il l’aperçut accourant par bonds, suivant l’habitude de ces animaux auxquels la course est interdite par l’extrême flexibilité de leur colonne vertébrale. Mignonne arriva les babines sanglantes, elle reçut les caresses nécessaires que lui fit son compagnon, en témoignant même par plusieurs rourou graves combien elle en était heureuse. Ses yeux pleins de mollesse se tournèrent avec encore plus de douceur que la veille sur le Provençal, qui lui parlait comme à un animal domestique.
― Ah ! ah ! mademoiselle, car vous êtes une honnête fille, n’est-ce pas ? Voyez-vous ça ? Nous aimons à être câlinée. N’avez-vous pas honte ? Vous avez mangé quelque Maugrabin ? ― Bien ! C’est pourtant des animaux comme vous !... Mais n’allez-pas gruger les Français au moins... Je ne vous aimerais plus !...
Elle joua comme un jeune chien joue avec son maître, se laissant rouler, battre et flatter tour à tour ; et parfois elle provoquait le soldat en avançant la patte sur lui, par un geste de solliciteur.
Quelques jours se passèrent ainsi. Cette compagnie permit au Provençal d’admirer les sublimes beautés du désert. Du moment où il y trouvait des heures de crainte et de tranquillité, des aliments, et une créature à laquelle il pensait, il eut l’âme agitée par des contrastes... C’était une vie pleine d’oppositions. La solitude lui révéla tous ses secrets, l’enveloppa de ses charmes. Il découvrit dans le lever et le coucher du soleil des spectacles inconnus au monde. Il sut tressaillir en entendant au-dessus de sa tête le doux sifflement des ailes d’un oiseau, – rare passager ! – en voyant les nuages se confondre, – voyageurs changeants et colorés ! Il étudia pendant la nuit les effets de la lune sur l’océan des sables où le simoun produisait des vagues, des ondulations et de rapides changements. Il vécut avec le jour de l’Orient, il en admira les pompes merveilleuses ; et souvent, après avoir joui du terrible spectacle d’un ouragan dans cette plaine où les sables soulevés produisaient des brouillards rouges et secs, des nuées mortelles, il voyait venir la nuit avec délices, car alors tombait la bienfaisante fraîcheur des étoiles. Il écouta des musiques imaginaires dans les cieux. Puis la solitude lui apprit à déployer les trésors de la rêverie. Il passait des heures entières à se rappeler des riens, à comparer sa vie passée à sa vie présente. Enfin il se passionna pour sa panthère ; car il lui fallait bien une affection. Soit que sa volonté, puissamment projetée, eût modifié le caractère de sa compagne, soit qu’elle trouvât une nourriture abondante, grâce aux combats qui se livraient alors dans ces déserts, elle respecta la vie du Français, qui finit par ne plus s’en défier en la voyant si bien apprivoisée. Il employait la plus grande partie du temps à dormir ; mais il était obligé de veiller, comme une araignée au sein de sa toile, pour ne pas laisser échapper le moment de sa délivrance, si quelqu’un passait dans la sphère décrite par l’horizon. Il avait sacrifié sa chemise pour en faire un drapeau, arboré sur le haut d’un palmier dépouillé de feuillage. Conseillé par la nécessité, il sut trouver le moyen de le garder déployé en le tendant avec des baguettes, car le vent aurait pu ne pas l’agiter au moment où le voyageur attendu regarderait dans le désert...
C’était pendant les longues heures où l’abandonnait l’espérance qu’il s’amusait avec la panthère. Il avait fini par connaître les différentes inflexions de sa voix, l’expression de ses regards, il avait étudié les caprices de toutes les taches qui nuançaient l’or de sa robe. Mignonne ne grondait même plus quand il lui prenait la touffe par laquelle sa redoutable queue était terminée, pour en compter les anneaux noirs et blancs, ornement gracieux, qui brillait de loin au soleil comme des pierreries. Il avait plaisir à contempler les lignes moelleuses et fines des contours, la blancheur du ventre, la grâce de la tête. Mais c’était surtout quand elle folâtrait qu’il la contemplait complaisamment, et l’agilité, la jeunesse de ses mouvements, le surprenaient toujours ; il admirait sa souplesse quand elle se mettait à bondir, à ramper, à se glisser, à se fourrer, à s’accrocher, se rouler, se blottir, s’élancer partout.
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