Le contact léger de la petite main sur son épaule était la chose la plus incroyable qu’elle ait jamais connue.

— Vous êtes pas... pas très fâchée, mamoiselle ? haleta-t-elle. Vous allez pas rapporter à mâme la directrice ?

— Ho ! non ! s’écria Sarah ! Sûrement pas !

La panique qui se lisait sur le petit visage souillé de charbon lui fit brusquement tellement de peine que Sarah eut du mal à le supporter. Une de ses « idées » lui vint à l’esprit. Elle posa la main contre la joue de Becky.

— Tu sais, nous sommes pareilles ; je suis une petite fille comme toi. C'est juste un accident si je ne suis pas toi et toi, moi.

Becky ne comprit pas du tout. Son esprit ne pouvait pas assimiler des pensées aussi déroutantes et, pour elle, « accident » signifiait une catastrophe, comme quelqu’un qui tombe d’une échelle ou se fait piétiner par un cheval et qu’il faut porter à l’hôpital !

— Un z’accident, mamoiselle marmotta-t-elle respectueusement. C'est ça ?

— Oui, approuva Sarah avant de la regarder un moment d’un air rêveur.

Mais ensuite, ayant compris que Becky ne voyait pas de quoi elle parlait, elle s’adressa à elle différemment.

— Tu as fini ton travail ? demanda-t-elle. Prendrais-tu le risque de rester ici encore quelques minutes ?

Becky en perdit le souffle une nouvelle fois.

— Ici, mamoiselle ? Moi ?

Sarah courut à la porte, l’ouvrit, regarda dehors, écouta.

— Il n’y a personne dans les parages, expliqua-t-elle. Si tes chambres sont faites, tu pourrais rester un petit moment. Peut-être aimerais-tu un morceau de gâteau ?

Pour Becky, les dix minutes qui suivirent furent une espèce de délire. Sarah ouvrit un placard et lui servit une grosse part de gâteau. Elle sembla ravie de voir qu’il était dévoré à grosses bouchées. Elle parla, posa des questions et rit jusqu’à ce que les terreurs de Becky commencent à se calmer au point que cette dernière trouva le courage, si audacieux que cela lui parût, de poser à son tour une question ou deux.

— C'est, se risqua-t-elle après un long moment où elle n’était pas parvenue à détacher son regard de la robe rose, c’est votre robe la plus belle ?

— C'est une de mes robes de danse, répondit Sarah. Je l’aime bien. Et toi ?

L'espace de quelques secondes Becky demeura sans voix, d’admiration. Puis elle dit d’une voix pleine de respect :

— Une fois, j’ai apercevu une princesse. J’étais debout avec la foule devant Covin3 Gardin à regarder le grand monde qu’entrait dans l’opéra. Et pis y en a une que les gens ils ont regardée plus que les autres. Ils se sont dit les uns aux autres : « C'est la princesse ! » C'était une jeune femme mais elle était rose de partout, la robe et la cape et les fleurs, et tout et tout. J’ai pensé à elle à la minute que je vous ai vue assise là, sur la table, mamoiselle. Vous étiez comme elle !

— J’ai souvent songé, dit Sarah d’une voix rêveuse, que j’aimerais être une princesse. Je me demande quelle impression ça fait. Je crois que je vais faire semblant d’en être une.

Becky la regarda avec une expression de profonde admiration et, comme un peu plus tôt, ne comprit pas du tout. Elle la contemplait, en proie à une sorte d’adoration.

Bientôt, Sarah abandonna ses songeries pour lui poser une nouvelle question.

— Becky, est-ce que tu n’écoutais pas cette histoire ?

— Si mamoiselle, confessa Becky, un peu inquiète à nouveau. Je sais que j’avais pas le droit mais c’était si beau que... que je pouvais pas m’empêcher !

— J’ai bien aimé que tu écoutes, répondit Sarah. Quand on raconte des histoires, rien n’est plus agréable que de les raconter aux gens qui veulent les écouter. Je ne sais pas comment cela se fait. Aimerais-tu entendre la suite ?

Becky fut sans voix une fois de plus.

— Moi ? Que j’écoute ? cria-t-elle.