Comme si que j’étais une élève, mamoiselle ? Tout ça sur le prince et sur les petits bébés sirènes tout blancs qui nageraient et qui riraient avec des étoiles dans les cheveux ?

Sarah fit « oui » de la tête.

— J’ai peur que tu n’aies pas le temps maintenant, ajouta-t-elle, mais si tu me dis à quelle heure tu viendras faire le ménage, j’essaierai d’être là et de t’en raconter un petit peu tous les jours, jusqu’à la fin. C'est une jolie histoire très longue et chaque fois je rajoute des morceaux.

— À ce compte, soupira Becky, je sentirais plus combien le seau à charbon il pèse ou toutes les misères que me fait la cuisinière, si je pouvais penser à ça !

— Tu peux ! dit Sarah, je te raconterai toute l’histoire !

La Becky qui redescendit l’escalier n’était pas la même que celle qui, un peu plus tôt, avait titubé sous le poids de sa charge de charbon en le montant. Elle avait une part supplémentaire de gâteau dans la poche, on l’avait réchauffée et nourrie, mais pas seulement avec du feu et du gâteau. Quelque chose d’autre l’avait réchauffée et nourrie et c’était Sarah.

Quand elle fut partie, Sarah se rassit sur la table, les pieds sur une chaise, les coudes sur les genoux et le menton posé dans les mains.

— Si j’étais une princesse, une vraie princesse, murmura-t-elle, je pourrais distribuer des richesses aux gens. Mais même en étant une princesse pour de faux, je peux trouver de petites choses à faire pour les autres. Des choses comme ça. Elle était aussi heureuse que si je lui avais donné de l’argent. Je crois que faire plaisir aux autres, c’est comme distribuer des richesses. Ce qui fait que j’ai distribué des richesses !



3.  En réalité Covent Garden, le principal opéra de Londres. (N.d.T.)

6

Les mines de diamants

Peu après, il survint quelque chose de très excitant. Ce ne fut pas seulement Sarah mais toute l’école qui se passionna et en fit son principal sujet de conversation des semaines durant. Dans une de ses lettres, le capitaine Crewe avait raconté une histoire palpitante. Un de ses anciens camarades de classe était venu le voir à l’improviste, aux Indes. Il était propriétaire d’un vaste territoire où on avait découvert des diamants et s’était lancé dans l’exploitation minière. Si tout se passait comme on pouvait l’espérer, il deviendrait riche à donner le vertige. Et comme il aimait bien son ancien camarade d’enfance, il lui avait proposé de partager cette énorme fortune en devenant son associé. C'est du moins ce que Sarah comprit de ses lettres.

Le fait est qu’aucune autre entreprise commerciale ou industrielle, fût-elle grandiose, n’aurait retenu son attention ou celle de ses camarades de classe. Mais « mines de diamants » avait un côté Mille et Une Nuits qui ne pouvait laisser personne indifférent. Sarah en fut enchantée et décrivit à Lottie et à Ermengarde des passages labyrinthiques dans les profondeurs de la terre, avec des pierres précieuses qui étincelaient dans les murs et le plafond, et des hommes sombres qui les arrachaient avec de pesants pics.

Ermengarde se délectait de cette histoire et Lottie voulait qu’on la lui raconte chaque soir. Lavinia était au comble du dépit et dit à Jessie qu’elle ne pensait pas qu’il pouvait exister quoi que ce soit qui ressemble à des mines de diamants.

— Ma maman a un anneau de diamants qui coûte quarante livres sterling, dit-elle. Et encore, il n’est pas bien gros. S'il existait des mines de diamants, certaines gens seraient si riches que c’en serait ridicule !

— Peut-être que Sarah deviendra tellement riche que c’en sera ridicule, gloussa Jessie.

— Elle est ridicule même sans être aussi riche ! dit Lavinia en tordant le nez.

— Je crois que tu la détestes.

— Non, pas du tout ! protesta Lavinia. Mais je ne crois pas à des mines pleines de diamants !

— Pourtant, il faut bien que les gens les trouvent quelque part, observa Jessie en gloussant de plus belle. Que penses-tu de ce que dit Gertrude ?

— J’ignore ce qu’elle dit ! Et je ne m’en soucie pas du tout si cela concerne cette sempiternelle Sarah !

— Bien sûr, ça la concerne ! Elle fait semblant d'être une princesse. C’est sa dernière trouvaille ! Elle y joue même pendant les heures de cours ! Elle dit que ça l’aide à mieux apprendre ses leçons. Elle veut qu’Ermengarde soit aussi une princesse mais Ermengarde dit qu’elle est trop grosse.

— C'est vrai, dit Lavinia, elle est trop grosse ! Et Sarah trop maigre !

Évidemment, Jessie se remit à glousser.

— Elle dit que cela n’a rien à voir avec l’allure qu’on a ni avec ce qu’on possède, poursuivit-elle. D’après elle, c’est juste affaire de ce qu’on pense et de la façon dont on agit.

— Je suppose qu’elle s’imaginerait qu’elle peut être une princesse même si elle était une mendiante, dit Lavinia. Appelons-la Son Altesse Royale !

Les cours étaient finis pour la journée et elles étaient assises près du poêle, à profiter de cet instant qu'elles aimaient entre tous. C'était le moment où Miss Minchin et Miss Amélie prenaient le thé dans un salon qui leur était strictement réservé. C'était l’heure où les conversations allaient bon train et où s’échangeaient nombre de secrets, surtout si les pensionnaires les plus jeunes se comportaient bien en ne se disputant pas bruyamment ou en courant partout, ce qui, il faut l’avouer, était souvent le cas.