Je pense depuis toujours que les beaux bâtiments ont un sexe : avec sa noble nef, Saint-Julien a celui de son saint patron.
C’est cette même matinée, me semble-t-il, que je suis parti à la découverte des vieilles maisons de Tours, car cette ville renferme quelques bons spécimens de l’architecture civile du passé. La demeure vers laquelle l’Anglo-Saxon moyen sera le plus tenté de diriger ses pas, et la seule que j’ai la place de mentionner ici, porte le nom de : « Maison de Tristan l’Hermite », sire que les lecteurs de Quentin Durward n’auront pas oublié, bourreau en titre du grand roi Louis XI. Son terrifiant château de Plessis, dont la description fait frissonner les jeunes lecteurs de Scott, s’est perdu dans l’anonymat des faubourgs ; quant à la résidence de son « triste compère », dont la façade est ornée d’une corde en festons, on note qu’elle a été construite au siècle suivant. Malgré cela, la Maison de Tristan mérite une visite pour elle-même, sinon pour Walter Scott. Sa façade ancienne est extrêmement pittoresque. On y accède par une rue étroite et tortueuse qui débouche, un peu plus loin, sur la promenade qui longe le fleuve. Un élégant porche gothique est percé dans la maçonnerie de brique rouille, et d’étranges petits animaux sont tapis aux angles des fenêtres surmontées d’un haut pignon à degrés, percé d’un petit orifice dans lequel la brique qui s’étend en dessous, ressortant dans l’ombre de la rue, paraît d’un jaune fané. Défigurée et en ruine, elle n’en offre pas moins un sujet épatant pour une esquisse en couleur. Je souhaite toutefois à l’artiste d’avoir plus de chance, ou meilleur caractère, que moi. S’il sonne pour se faire donner accès à la cour, que je crois encore plus digne de ses pinceaux, il lui faudra de la patience pour attendre qu’on vienne lui répondre. Il aura le temps de faire l’extérieur avant que quelqu’un daigne venir.
J’ai dit que la Maison de Tristan méritait d’être visitée pour elle-même ; mais je me demande ce qui peut justifier la visite des restes de Plessis-lez-Tours. On y arrive par un dédale de ruelles de faubourgs, en suivant le cours de la Loire jusqu’à un endroit incongru, sans attrait ni raffinement, où votre cocher, si vous êtes venu en fiacre, vous indique un grossier petit bâtiment de brique rouge, qui est censé avoir été la résidence romantique d’un roi superstitieux et où une violente odeur de porcherie et autres saletés vous dépriment au point que vous n’avez même pas l’énergie de protester contre ce mensonge patent. Vous pénétrez dans une cour où règnent les ordures et un chien menaçant, et une vieille femme émerge d’une cabane sordide pour vous certifier que vous êtes effectivement dans un lieu historique. Ce bâtiment de brique rouge, qui ressemble à une petite fabrique, se dresse sur les ruines de la résidence préférée du sinistre roi Louis. Elle est occupée à présent par une brigade d’éboueurs nocturnes, dont les immenses charrettes s’alignent le long de la façade. Je ne sais si c’est cela que l’on nomme l’ironie du destin ; quoi qu’il en soit elle contribue fortement à souligner, par le plus susceptible de nos sens, le fait qu’il n’y a pas d’honneur pour les grands criminels. La vieille femme vous fait voir quelques vestiges : plusieurs caveaux obscurs, humides et pleins à craquer, qu’elle appelle oubliettes, et l’escalier d’une vieille tour, le tout en bon état. On voit le tracé de la vieille douve et celui de l’ancienne salle des gardes, qui est une écurie aujourd’hui, ainsi que d’autres tracés et ruines sans signification nette et que j’ai oubliés. Quelque effort que l’on fasse, on n’arrive pas à imaginer que Plessis fut un vaste château malgré la vieille femme qui, tandis que vos yeux parcourent les potagers voisins, parle d’abondance des jardins et du parc. Un air médiocre et sans intérêt règne ici et, en repartant, vous avez du mal à savoir si vous devez vous réjouir ou vous désoler que ces lieux tout hérissés d’horreurs soient redevenus si ordinaires.
Je crois que vous noterez aussi un certain manque d’intérêt à Marmoutier, qui constitue l’autre excursion obligatoire des environs de Tours. Les restes de cette célèbre abbaye se situent sur la rive opposée du fleuve, à un peu moins de trois kilomètres de la ville. Vous suivez ses eaux brunes et, par une belle après-midi, c’est un plaisir de continuer la promenade. L’abbaye a connu le destin de presque toutes les abbayes, mais autant qu’une ruine, c’est une abbaye restaurée que vous visitez ici, car les Sœurs du Sacré-Cœur y ont érigé un couvent effroyablement moderne. Un grand porche gothique, percé dans les restes d’un mur antique, vous mène à un grand jardin clos, qui vous conduit à son tour jusqu’à un petit parloir extraordinairement bien tenu, où deux braves nonnes sont à leur ouvrage. L’une d’elles est sortie avec moi pour me faire visiter : c’était une petite femme très décidée, aux traits pointus, à l’élocution très distincte, qui avait ces jolies manières que l’Église catholique, entre autres enseignements, donne à ses fonctionnaires. Je n’ai jamais vu personne qui ait mieux appris sa leçon que cette petite nonne trottinante, au murmure édifiant. L’intérêt de Marmoutier de nos jours réside moins dans ce que l’abbaye offre au regard que, si l’on peut dire, dans ce qu’elle offre à la réflexion, si vous avez envie de réfléchir, par exemple, à la légende des sept dormeurs (vous pouvez les voir étendus côte à côte), qui vécurent ensemble (ils étaient frères et cousins), en pratiquant une piété primitive, dans le sanctuaire construit par le bienheureux saint Martin (émule de son précurseur, saint Gatien), face au coteau qui dominait la Loire, et qui, vingt-cinq ans après sa mort, rendirent ensemble leur âme à Dieu et eurent l’étonnant privilège de conserver sur leur visage, malgré cela, le rose de la vie. L’abbaye de Marmoutier, issue des grottes creusées dans la falaise où saint Gatien et saint Martin se retiraient pour prier, fut donc fondée par ce dernier, tandis que l’autre abbaye, dans la ville même, fut le monument de son repos. La falaise est toujours là et un escalier en colimaçon, de goût moderne, vous permet d’en explorer les recoins en toute commodité. Ces saintes niches sont creusées dans le rocher et vous feront impression si c’est ce que vous recherchez.
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