Vous les trouverez bien vénérables quand vous apprendrez que celle de saint Gatien, premier missionnaire chrétien en Gaule, remonte au IIIe siècle. L’Église catholique leur a fait subir le traitement qu’elle inflige de nos jours à la plupart des endroits de ce genre : elle les a nettoyées et meublées, étiquetées et classées. En un mot, elle les a « éditées » et annotées comme un livre ancien. C’est une erreur de procéder ainsi : les premières éditions étaient plus vénérables. Les bâtiments modernes (du Sacré-Cœur) que vous voyez en contrebas sont dans le goût vulgaire qui semble être la marque de tout ce que l’Église catholique fait de nouveau ; cela n’empêchait pas tout ce tableau d’être empreint d’une grande douceur. L’après-midi était délicieuse et atteignait son terme en rosissant. Le grand jardin s’étendait sous nos pieds, déployant une abondance de fruits, de vignes et de légumes succulents, et le fleuve scintillant coulait au-delà. L’air était immobile, les ombres longues et le lieu chargé de souvenirs dont la plupart avaient un air de vertu. Cela valait certainement mieux que Plessis-lez-Tours.
4. BLOIS
Vous êtes à Tours pour faire des excursions, et si vous les faites toutes, vous ne manquerez pas d’occupations. La Touraine est riche en monuments anciens et une heure de route dans n’importe quelle direction ou presque vous fera découvrir quelque curieux fragment d’architecture domestique ou religieuse, quelque manoir à tourelles, quelque tour isolée, quelque village à pignons ou quelque site historique. Quand bien même, ce qui ne fut pas mon cas, vous feriez toutes les excursions, vous ne pouvez espérer tout raconter et, par bonheur pour vous, ces excursions se divisent en deux catégories : celles qui sont essentielles et les autres. Une semaine ou deux peuvent suffire pour les premières, mais tout un été en Touraine (ce qui, d’ailleurs, doit être délicieux) ne serait pas de trop pour les secondes. Si vous descendez de Paris à Tours, il est de bonne économie de passer quelques jours à Blois, où une petite auberge de guingois mais pleine de charme, située au bord du fleuve, vous offrira cette hospitalité intermittente et sans cérémonie que vous apprendrez, en quelques semaines de séjour dans la province française, à considérer comme la plus haute forme d’hébergement à laquelle vous puissiez accéder. Je n’ai pas été en mesure de pratiquer cette économie moi-même. J’ai seulement pu aller passer la journée à Blois, en partant de Tours, exploit que j’ai accompli par deux fois. C’est une petite ville très sympathique, comme on dit aujourd’hui, et l’on pourrait sans peine se résigner à y passer une semaine. Établie sur la rive nord de la Loire, elle tourne vers le soleil un visage brillant et propret et donne cette impression de loisir heureux se dégageant de toutes les villes blanches qui se reflètent dans des eaux ensoleillées. Seule, toutefois, la façade fluviale de Blois affiche ce teint frais ; l’intérieur est aussi bruni qu’il convient à une cité notoirement historique. Ma seule déception y fut de découvrir que le château, but spécifique de notre pèlerinage, ne domine pas le fleuve, comme je m’étais toujours autorisé à le croire. Il domine la ville et se laisse à peine apercevoir du bord de l’eau. Cette chance particulière est réservée à Amboise et à Chaumont.
Le château de Blois est, de toutes les anciennes résidences royales que renferme cette région de France, l’une des plus belles et des plus parfaites, et elle mérite sans doute tous les honneurs de ma description. En franchissant son seuil, vous entrez de plain-pied dans le brillant mouvement de la Renaissance française. Mais sa richesse défie la description : je ne peux en donner qu’une évocation partielle. Avant toute chose, quand on parle de Blois tel qu’on le voit aujourd’hui, il faut savoir que l’on parle d’un monument qui a été généreusement restauré. Le travail de restauration a été aussi ingénieux qu’abondant, mais il a plutôt pour effet de glacer l’imagination. C’est peut-être le premier sentiment que l’on éprouve en gagnant le château par les rues de la ville. À mesure qu’elles s’éloignent du fleuve, ces petites rues escarpées essaient de se donner des allures romantiques ; l’une d’entre elles, au demeurant, avec le grand escalier à double révolution qui la termine (l’escalier monumental), y est suffisamment bien arrivé pour me rappeler vaguement, sans que je sache vraiment pourquoi, la grande pente du Capitole, à côté de l’Ara coeli, à Rome. La vue que l’on a de cette partie du château, qui en constitue le dos aujourd’hui (c’était la seule dont j’avais vu des reproductions), affiche les marques de sa restauration avec une totale assurance. La longue façade de fenêtres à balcon, profondément enfoncées, se dresse sur le sommet d’une imposante colline qui donne un beau mouvement plongeant à ses fondations. Les niches profondes des fenêtres sont rutilantes de couleurs.
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